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L’Heure du loup

Par Pidder Niklas

à propos de la série La peur du loup

 

À l’heure où le loup vient braver les frontières humaines et faire jouer son droit de prédateur ;

À l’heure où les humains retournent dans leur abri pour se protéger des ténèbres ;

À l’heure où les fantômes et les vampires quittent leurs châteaux pour nourrir les peurs ;

Le photographe reste sur place, se laissant submerger par la nuit, dans l’attente de l’heure du loup.

Il fait le voyage jusqu’au bout de la nuit, nuit du voyeur, du voleur d’ombres, nuit de lueurs, de miroitements.

Virginie ROL fait partie de ceux qui ont décidé de rester, de voler les images de la nuit pour en faire une autre nuit ;

Celle de sa fantasmagorie, cet art de faire parler les fantômes de son théâtre intime, comme une ode à cet espace-temps secret ;

Antichambre du jour, clair-obscur où elle module la lumière sur un fond d’ombres, palimpseste où chacune de ses images réinvente la nuit.

La nuit, fascination éternelle, à la récurrence infinie, attendue ou redoutée, terreau de toutes les visions ;

La nuit de tous les masques, nuit américaine, nuit transfigurée, nuit blanche, nuit du chasseur, nuit d’ivresse, nuit des morts vivants.

La nuit et ses hors-champs, ses formes devinées plutôt que reconnues, ses trompe-l’œil qui dérèglent les sens et font triompher l’illusion.

La nuit est la Camera Obscura de Virginie ROL, celle qui lui permet de rejouer le Réel au travers du prisme de sa lentille optique,

Comme une projection en négatif du jour, une Lanterna Magica produisant des images d’une nuit féerisée.

L’illusion, vérité de la nuit, est ce qui soutient toutes les images de la série « La peur du loup ».

Peur d’un loup imaginaire, pas encore sorti du noir, illusion d’un danger à venir, vertige d’un Réel fantasmé.

L’Art de Virginie ROL est de nous faire réaliser ce qui nous échappe, de nous faire aimer la peur du loup virtuel, de nous faire rencontrer nos parts d’ombre.

De nous rendre sur les lieux de nos âmes blessées ou perdues, de nos mémoires enfouies, de nos désirs masqués, de nos fulgurances retenues.

Elle ouvre la scène de sa chambre noire à tous les regards pour leur présenter ses persistances rétiniennes rayonnantes, ses fantômes vivifiants, ses scintillements mnésiques envoûtants.

Une fois la rumeur du Monde tue, elle convoque les lueurs ténébreuses pour fêter leurs douces et vibrantes consistances, comme le Cinéma des origines, où de la pénombre jaillissait la lumière et où la peur première fit rapidement place à l’émerveillement.

Virginie ROL, dans un geste essentiel de travestissement du sépulcral en vital, du ténébreux en merveilleux et de la peur du loup en heure du loup, produit un espace-temps comblé de signes et d’affects, refuge de tous les rêves éveillés, patrie de tous les imaginaires.

Elle rend au végétal une place au premier plan, libéré des présences humaines, tel un ré-ensauvagement de l’espace par les réseaux des branches dorées de crépuscule, laissant les rares traces de l’activité humaine comme à l’abandon, dans une stase mortifère, alors qu’autour d’elles, la fête des apparitions bat son plein.

 

Passer de la peur du loup à l’heure du loup, de la peur de la nuit à l’heure magique de la nuit ; telle une théophanie sertie d’icônes lumineuses, voilà le développement des précieuses images noctambules de Virginie ROL, les étoiles n’étant visibles qu’à la tombée de la nuit.

 

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